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1La psychopathologie se veut explicative de symptĂŽmes, de conduites et de comportements. Elle sâappuie de longue date sur des thĂ©ories psychanalytiques, mais aussi sur des conceptualisations issues de la philosophie, de lâexistentialisme par exemple, de la phĂ©nomĂ©nologie, plus proche dâun grand courant de la psychiatrie, voire sur des concepts de droit, et Ă©galement sur des donnĂ©es de la psychologie. 2La psychanalyse nâa pas pour visĂ©e une explication magistrale ; elle suit dans la pratique les dires des analysants et sâoriente dans le champ des associations libres selon les lignes dessinĂ©es par des signifiants dans le cadre du transfert. 3La pratique des jeux nâest sans doute pas en soi une pathologie. Ă partir de quand peut-on la dire addictive », ce dernier terme, trĂšs usitĂ© de nos jours Rigaud, 2002, paraissant en dĂ©finir, en spĂ©cifier mĂȘme le pathos ? 4Cette pratique irrĂ©pressible des jeux dâargent et de hasard, frĂ©nĂ©tique et dĂ©vastatrice, exemplifie la formulation de Jean-Louis Pedinielli 1985, Ă©nonçant que les addictions se caractĂ©risent par une mise en scĂšne particuliĂšre de lâaviditĂ©, de la dette et de la mort ». Dompter, domestiquer le hasard Bucher, 1997a plutĂŽt quâapprivoiser son murmure sĂ©ducteur⊠5Quant Ă explorer le dessous des cartes du jeu compulsif en privilĂ©giant une approche analytique un pari risquĂ© ?⊠Peut-ĂȘtre, a priori, mais il nâen reste pas moins que cette notion dâaddiction au jeu nâa guĂšre Ă©tĂ© prise en compte par la psychiatrie classique dans son manuel, un Henri Ey, par exemple, ne consacre mĂȘme pas une ligne entiĂšre au jeu compulsif Bucher, 1997b quâil insĂšre furtivement dans la catĂ©gorie des dĂ©sĂ©quilibres caractĂ©riels ! 6Certes, dans un texte publiĂ© dans les Annales mĂ©dico-psychologiques en 1929, deux psychiatres, Dupouy et Chatagnon 1929, avaient assimilĂ© la passion du jeu Ă une forme de toxicomanie, notamment la morphinomanie Il joue pour goĂ»ter le choc Ă©motif que donne le âcoupâ, et plus celui-ci est gros, plus celui-lĂ est intense. Il ressemble en cela au toxicomane qui, son Ă©ducation faite du toxique, ne dĂ©sire plus que la sensation, la vibration spĂ©ciale que lui procure sa drogue favorite ». Mais la prĂ©gnance des considĂ©rations moralisatrices du texte limite fortement lâimpact clinique de lâobservation de ces auteurs Valleur et Bucher, 2006. 7En France, la problĂ©matique du jeu demeure longtemps dĂ©laissĂ©e par la psychiatrie et, Ă notre connaissance, il faudra attendre le dĂ©but des annĂ©es 1990 pour quâune revue thĂ©matique sur les dĂ©pendances y consacre un numĂ©ro spĂ©cial, suscitant ainsi un Ă©cho plus large, avec notamment les textes de Jean AdĂšs 1991 et Marc Valleur 1991. Les psychanalystes, par contre, moins pris par la grille codifiĂ©e et nĂ©cessaire lecture, se sont assez tĂŽt intĂ©ressĂ©s au jeu RenĂ© Tostain 1967, mais surtout, dans un excellent article princeps, Charles Melman, dans les Annales mĂ©dico-psychologiques [1] publiĂ© en 1963. 8Mais câest Freud qui le premier, dĂšs 1896, dans un manuscrit adressĂ© Ă Fliess donne le la ». Il parle dâun patient, hystĂ©rique, dipsomane, ayant Ă©tĂ© sĂ©duit » par un homme pervers ». La dipsomanie sâĂ©tait produite par renforcement ou plutĂŽt par substitution dâune pulsion venue remplacer la pulsion sexuelle associĂ©e le mĂȘme phĂ©nomĂšne avait probablement lieu pour la vieille F⊠pour la passion du jeu » [2]. Il y a bien lĂ une prise en considĂ©ration du jeu, mais celui-ci est logĂ© Ă la mĂȘme enseigne que la dipsomanie, celle de la passion, et dĂ©jĂ est mentionnĂ©e une pulsion sexuelle supplĂ©mentaire remplaçant la pulsion sexuelle habituelle ! 9Ă titre liminaire et autrement, remarquons dâabord que la fonction soulageante de la dĂ©pense dâargent avait Ă©tĂ© pointĂ©e par Abraham 1916 La tendance aux dĂ©penses inconsidĂ©rĂ©es est le fait de nĂ©vrosĂ©s vivant dans un Ă©tat de dĂ©pendance infantile permanente Ă lâĂ©gard de leurs parents, prĂ©sentant des troubles de lâhumeur ou de lâangoisse dĂšs quâils sâen Ă©loignent. Les patients affirment eux-mĂȘmes que la dĂ©pense soulage leur angoisse ou leur humeur. » 10Ainsi, en premiĂšre approche, Ă dĂ©faut de guĂ©rir, la dĂ©pense apaise, pallie transitoirement le malaise interne, Ă lâinstar de la drogue ou du mĂ©dicament calmant le toxicomane. 11LĂ encore Freud avait innovĂ© » ! Câest dans ses Ă©crits sur la cocaĂŻne quâil considĂšre celle-ci comme un moyen dâĂ©pargne » â apparemment par rapport au refoulement â et il fait rĂ©fĂ©rence Ă un ouvrage dâun auteur français, Angel Marvaud, Les aliments dâĂ©pargne 1874 [3]. 12Dans le contexte social actuel incitation aux crĂ©dits, valorisation de la consommation, explosion de lâoffre des jeux, les diverses formes de dĂ©pense compulsive Valleur et Bucher, 2006 ; Valleur et Matysiak, 2003, des achats pathologiques » au jeu pathologique le joueur, figure emblĂ©matique du toxicomane sans drogue » cultivant la transgression dans lâemphase et lâostentation, pourraient constituer en premiĂšre approche une mauvaise rencontre entre un individu fragile quant Ă ses dĂ©sirs insatisfaits et une offre commerciale aguichante donnant lâillusion de combler un manque Ă ĂȘtre. Et, avec les jeux en vogue, massifiĂ©s Stiegler, 2000 [4], se dĂ©gage lâimpression dâune prolifĂ©ration de lâimaginaire », dâun rĂ©gime de la frustration gĂ©nĂ©ralisĂ©e » ainsi que le remarque Norbert Bon in Bucher, Chassaing, Melman, et al., 2005.Freud, Bergler et Fenichel la compulsion Ă perdreFreud et DostoĂŻevski mise Ă mort du pĂšre et chĂątiment de soi-mĂȘme13DĂšs 1928, Freud, dans son texte fameux sur DostoĂŻevski et le parricide Dostojewski und die Vatertötung [5], avait mis en lumiĂšre les soubassements de la personnalitĂ© de lâĂ©crivain, marquĂ©e par une attitude ambiguĂ« envers le pĂšre, faite de soumission et de vĆu de mort » Chassaing et Petit, 1995. 14La thĂ©matique de la mise Ă mort du pĂšre, qui hante lâĆuvre de lâĂ©crivain avec, en toile de fond, lâexpression dâune sympathie quasi convulsive » pour le criminel serait la pierre angulaire de sa conduite masochiste, laquelle tiendrait Ă la conjugaison dâune disposition bisexuelle particuliĂšrement forte » avec la rĂ©alitĂ© dâun pĂšre particuliĂšrement dur ». 15Les attaques dâĂ©pilepsie Freud, 1928 seraient la reproduction de cette sĂ©quence de triomphe et de deuil [âŠ] devinĂ©e chez les frĂšres de la horde primitive qui avaient tuĂ© le pĂšre » cf. le sentiment, Ă©crit Freud, de bĂ©atitude suprĂȘme » lors de lâaura de la crise. 16 Tout chĂątiment est bien, dans le fond, la castration et lâaccomplissement comme tel de lâancienne attitude passive envers le pĂšre. MĂȘme le destin nâest finalement quâune projection ultĂ©rieure du pĂšre. » Freud, 1928. 17Nous souscrivons du reste aux observations des traducteurs de ce texte DostoĂŻevski et le parricide dans la revue LâUnebĂ©vue suppl. au n° 4, automne-hiver 1993, prĂŽnant lâemploi du mot chĂątiment plutĂŽt que punition pour traduire ici Bestrafung, en tant que la punition est plutĂŽt connotĂ©e Ă la justice humaine la loi punit, sanctionne un dĂ©lit. Le chĂątiment, lui, est plutĂŽt dâordre moral. Il nâimplique pas forcĂ©ment la faute rĂ©elle ; il rĂ©pond au contraire au sentiment de culpabilitĂ© qui, lui aussi, est moral ». 18Ce qui revient Ă prĂ©coniser chĂątiment de soi-mĂȘme pour Selbstbestrafung de prĂ©fĂ©rence Ă la traduction traditionnelle autopunition. En effet, il sâagit plus dâun chĂątiment moral que dâune punition par la justice humaine. Se chĂątier soi-mĂȘme nâest pas exactement identique Ă sâautopunir et introduit une nuance quant Ă la persistance dâun sentiment de culpabilitĂ© » ibid.. Ce dernier point nous semble particuliĂšrement intĂ©ressant dans une perspective psychopathologique. 19Et le jeu Ă©tait aussi pour lui une voie pour se chĂątier lui-mĂȘme », Ă©crit Freud, Ă©cartant dâentrĂ©e de jeu lâidĂ©e que lâappĂąt du gain soit en cause. DostoĂŻevski est dâailleurs trĂšs explicite sur ce point dans une lettre Lâessentiel est le jeu lui-mĂȘme », Freud renchĂ©rissant en faisant mouche avec la formule le jeu pour le jeu ». 20Passion du jeu connotĂ©e expressĂ©ment ici par Freud Ă une dimension pathologique La publication de ses Ă©crits posthumes et du journal intime de sa femme [6] a crĂ»ment relatĂ© un Ă©pisode de sa vie, la pĂ©riode oĂč, en Allemagne, DostoĂŻevski Ă©tait possĂ©dĂ© par la passion du jeu. On ne peut pas mĂ©connaĂźtre quâil sâagit dâun accĂšs de passion pathologique ; on ne saurait dâaucune façon lâestimer autrement [7]. » 21Ainsi le jeu, dans ce cas de passion pathologique » ruineuse, prend valeur de conduite dâautopunition ou, mieux, en suivant au plus prĂšs le fil du texte freudien, de chĂątiment de soi-mĂȘme corrĂ©lĂ©e au vĆu de mise Ă mort du pĂšre ». Plus prĂ©cisĂ©ment, une ambivalence envers le pĂšre, ce rival, oĂč lâagressivitĂ© meurtriĂšre Ă son encontre â le dĂ©sir de le supprimer, de le remplacer â le dispute Ă une angoissante position passive de soumission. Ainsi sâĂ©claire la sĂ©quence cyclique et rĂ©pĂ©titive, chez DostoĂŻevski, dâaccĂšs frĂ©nĂ©tique et ruineux de jeu, puis de phase de remords et dâautoflagellation, enfin de renouveau de la crĂ©ativitĂ© littĂ©raire Lorsque son sentiment de culpabilitĂ© Ă©tait satisfait par le chĂątiment quâil sâĂ©tait infligĂ© lui-mĂȘme, alors son inhibition au travail se relĂąchait, alors il sâautorisait Ă faire quelques pas sur la voie du succĂšs » ibid.. 22Dans leur texte trĂšs argumentĂ© sur Freud et DostoĂŻevski, Jean-Louis Chassaing et Patrick Petit 1995 suggĂšrent que la rĂ©duction du jeu Ă lâargent relĂšve essentiellement de ce qui peut ĂȘtre engagĂ© par ce biais la possession â avec la rivalitĂ©, lâenvie, la jalousie â le pouvoir â avec dans ce rapport ordalique Ă lâAutre une certaine Ă©lection â le corps, dĂ©vĂȘtu, dĂ©charnĂ©, avec ce quâil peut proposer comme derniĂšre piĂšce Ă donner⊠Câest alors quâinterviendra lâĂ©criture, cette âdĂ©pense au-delĂ de la dĂ©pense ; excessive, folle⊠prodigalitĂ© inutileâ comme lâĂ©crit Sollers. Freud reste sur cette question de lâautopunition avec DostoĂŻevski jouer Ă tout perdre, payer de sa personne afin de sâautoriser Ă libĂ©rer lâĂ©criture et son gĂ©nie. » 23Et, chez DostoĂŻevski â ainsi que le souligne Paul-Laurent Assoun, la tendance sadique qui aurait pu faire de lui un criminel est retournĂ©e contre sa propre personne pour trouver expression comme masochisme et sentiment de faute Assoun, 2003 â se dessine la formule sophistiquĂ©e de la jouissance spirituelle masochiste » commettre une faute, la transformer en pĂ©chĂ© gĂ©nĂ©rateur de remords, mais en y insĂ©rant comme un zeste de pointe de moralitĂ© » [8]. 24Masochisme moral oĂč sâexerce, selon les dĂ©veloppements de Paul-Laurent Assoun Ă partir de Freud Assoun, 2000, 2003, un rapport de domination Herrschaft par les puissances parentales », sous les espĂšces de la puissance obscure du destin ». Et dont la passion du jeu serait ici un truchement privilĂ©giĂ© de son funeste accomplissement. 25Au jeu de la vie, le joueur, un maso » ? Ce que rĂ©sume aussi Jean AdĂšs 1991 Le joueur est possĂ©dĂ© par une recherche morbide de lâĂ©chec, de lâexpiation, la poursuite dâun parcours Ă©clairĂ© par le tragique du plaisir et de la mort ». 26Quant Ă la dimension addictive, au fil des lignes du texte de Freud sur DostoĂŻevski Freud, 1928, lâexpression Spielsucht littĂ©ralement, lâaddiction au jeu semble prendre le pas sur celles de Spielzwang compulsion du jeu et Spielwut fureur du jeu, expression un peu datĂ©e, mais intĂ©ressante car renvoyant Ă la frĂ©nĂ©sie, au craving. En outre, en considĂ©rant Ă partir dâune rĂ©fĂ©rence Ă la nouvelle de Stefan Zweig, Vingt-quatre heures de la vie dâune femme le jeu comme un succĂ©danĂ© de la masturbation, cette addiction originaire Ursucht, Freud le rapproche de facto des toxicomanies classiques, au sujet desquelles il avait Ă©mis cette hypothĂšse en 1897 Chassaing, et al.,1998. 27La rĂ©fĂ©rence freudienne Ă cette nouvelle de Stefan Zweig vise Ă Ă©tablir le lien entre ce sentiment de culpabilitĂ© et une origine pubertaire dans le rapprochement des fantasmes Ćdipiens et de la masturbation. Le vice » de lâonanisme est remplacĂ© par la passion du jeu et lâaccent mis sur lâactivitĂ© passionnĂ©e des mains rĂ©vĂšle cette dĂ©rivation Jamais je nâai vu des mains si Ă©loquentes, oĂč chaque muscle Ă©tait comme une bouche et oĂč la passion, sâexprimait, tangible, presque par tous les pores ». Et ne dit-on pas Avoir la main », passer la main », etc. 28Claude Landman in Bucher, Chassaing, Melman, et al., 2005 reprend la problĂ©matique posĂ©e par Freud, apparemment dĂ©suĂšte et entendue », de la main pour le joueur, de DostoĂŻevski notamment, et de la masturbation en tant que Ursucht â matrice des addictions â pour les toxicomanies. La masturbation, rappelle-t-il, est dite par Lacan jouissance de lâidiot », Ă suivre dans son Ă©tymologie, non ouverte Ă lâautre, repliĂ©e sur elle-mĂȘme. Lâidiot. DostoĂŻevski, LâIdiot⊠29Ă titre dâillustration de lâhypothĂšse freudienne ne pouvant ainsi se rĂ©duire Ă la simple observation dâun tic » de joueur, vient Ă lâesprit en premier lieu le propos dâun patient joueur de poker, dĂ©cidĂ©ment trĂšs freudien en lâoccurrence. Ce joueur en dĂ©licatesse avec la justice rapportait une expression usitĂ©e dans ce milieu ĂȘtre amoureux de sa propre main » Ă propos de payer pour voir de maniĂšre excessive, alors quâil faut savoir jeter » lors des enchĂšresâŠ. 30Remarquons aussi, dans une autre veine, le texte dâAlain Dufour 1994, OpiacitĂ©, qui relate lâoccurrence dâune symptomatologie dâallure ludopathique » chez un toxicomane aux opiacĂ©s, posant que le jeu, les manipulations auxquelles il donne lieu pourraient bien sâavĂ©rer des succĂ©danĂ©s de procĂ©dures de symbolisations dĂ©faillantes ». En outre, cette activitĂ© se redoublait dâune sorte dâ auto-Ă©rotisme mental », en lâespĂšce, une manipulation passionnĂ©e des chiffres et des combinaisons, mathĂ©matiques de loser » selon les dires du joueur de Bergler, un nĂ©vrosĂ© oral » animĂ© par un dĂ©sir inconscient de perdre31Ă la suite de diverses publications â dont la premiĂšre, dans la revue Imago, date de 1936 â et de son ouvrage relatif Ă une thĂ©orisation du fonctionnement psychique La nĂ©vrose de base Bergler, 1949, Bergler rĂ©alise une synthĂšse de ses observations cliniques relatives aux joueurs dans The psychology of gambling Bergler, 1957. Il affiche de surcroĂźt lâambition de prĂ©ciser les soubassements de la conduite de jeu et de dresser constat des diverses variantes typologiques de joueurs. Câest ainsi quâil Ă©labore une liste de critĂšres permettant de dĂ©finir » le joueur pathologique, en contrepoint du joueur social » ou rĂ©crĂ©atif prise habituelle de risques, envahissement de la vie par le jeu, optimisme pathologique, incapacitĂ© de sâarrĂȘter de jouer, escalade des enjeux, frisson » du jeu et ce, en sâappuyant sur lâexpĂ©rience du traitement dâune soixantaine de joueurs. En outre, il classe parmi les joueurs les spĂ©culateurs effrĂ©nĂ©s ou success hunters⊠32Ă rebours des motivations conscientes, mises en avant par les patients notamment lâappĂąt du gain, la croyance en leur propre intelligence ou leur habiletĂ©, voire lâidĂ©e que la vie, aprĂšs tout, nâest quâun jeuâŠ, Bergler met lâaccent sur le fait que les joueurs, Ă lâinstar du joueur dostoĂŻevskien, sâadonnent au jeu pour le jeu », Ă lâeffet dâexpĂ©rimenter le mystĂ©rieux frisson thrill, sensation ineffable rĂ©servĂ©e aux initiĂ©s ». Et il propose une explication fondĂ©e sur des motivations inconscientes sâinscrivant dans la perspective freudienne Bergler, 1949. 33Le joueur est Ă considĂ©rer comme un nĂ©vrosĂ©, animĂ© par un dĂ©sir inconscient de perdre dĂ©sir de gagner dynamiquement sans effet » gouvernĂ© par le masochisme moral, un besoin inconscient dâautopunition. Masochisme moral que Bergler nomme masochisme psychique » [9], lequel sâarticulerait autour dâune sĂ©quence en trois temps Bergler, 1949 Je me crĂ©erai le dĂ©sir inconscient dâĂȘtre rejetĂ© par la mĂšre », Je ne serai pas conscient de mon dĂ©sir dâĂȘtre rejetĂ© », Je mâapitoierai sur moi-mĂȘme en un plaisir masochique ». Ces masochistes psychiques » se caractĂ©risent par une dilection particuliĂšre pour lâhumiliation, la dĂ©faite, le refus ». 34La thĂ©orisation du joueur en tant que nĂ©vrosĂ© oral », animĂ© par un dĂ©sir inconscient de perdre, dispose que le jeu, expression dâune nĂ©vrose de base », correspond, Ă lâinstar de lâalcoolisme par exemple, Ă une rĂ©gression orale », se dĂ©finissant par la mise en acte dâune sĂ©quence toujours identique, tentative illusoire dâĂ©liminer radicalement les dĂ©sagrĂ©ments liĂ©s au principe de rĂ©alitĂ©, au profit du seul principe de plaisir, par le truchement dâun retour Ă la fiction de la toute-puissance infantile. La rĂ©bellion contre la loi parentale se traduit directement, chez le joueur, par une rĂ©bellion latente contre la logique ». 35Lâagression inconsciente contre les parents, reprĂ©sentant la loi, et la rĂ©alitĂ© est suivie dâun besoin dâautopunition, impliquant chez le joueur la nĂ©cessitĂ© psychique de la perte ; le dĂ©sir conscient » le dĂ©sir dans son acception courante de gagner est dynamiquement » sans effet. Le mystĂ©rieux frisson », lâineffable du jeu, serait simplement liĂ© au plaisir de la reviviscence de la toute-puissance infantile, mĂȘlĂ© Ă lâangoisse de lâattente de la punition. Et Bergler parle du reste de pseudo-agressivitĂ© » chez les nĂ©vrosĂ©s oraux⊠Expression Ă©videmment discutable en tant que telle. 36Jouer consiste alors bel et bien Ă travailler⊠contre ses intĂ©rĂȘts, tout en proclamant de maniĂšre incantatoire Bucher, 2005 Je ne peux pas mâempĂȘcher de⊠mais, demain, jâarrĂȘte⊠je nâirai pas, je nâirai plus. » 37Masochisme moral, mais aussi masochisme oral », selon Bergler. Que certains mordus » du jeu, puissent Ă©voquer au passage une connotation orale le jeu me nourrit », jusquâĂ la dĂ©voration et lorsquâil sâagit dâ ĂȘtre dĂ©vorĂ© par ses rĂȘves »⊠il ne reste vraiment plus rien ! est Ă pointer. 38Cela dit, en quoi la recherche dâun sentiment dâĂȘtre refusĂ© ou rejetĂ© a-t-elle partie liĂ©e avec lâoralitĂ© ? Bergler dĂ©crit un nourrisson rĂ©clamant un lait autarcique », qui ne dĂ©pendrait que de lui-mĂȘme. Si la mĂšre ne rĂ©pond pas dans lâinstant, il y a Ă©raflure, blessure narcissique. Pour lâenfant, la sommation, la multiplication de ces blessures entraĂźne lâeffondrement du fantasme de toute-puissance. Vivant le rejet comme une humiliation, il va se mettre en situation de retrouver une humiliation libidinalisĂ©e. Ainsi, le masochisme est reliĂ© par Bergler Ă la recherche du ĂȘtre rejetĂ© » ou encore du ĂȘtre refusĂ© », certes une dĂ©finition assez large du masochisme, oĂč prime lâidĂ©e de la rĂ©pĂ©tition de situations plus ou moins pĂ©nibles, comme si le sujet y trouvait une satisfaction. 39Mais aussi, comme le note Paul-Laurent Assoun, une vĂ©ritable intuition du lien entre position masochiste et relation Ă lâobjet » Assoun, 2003. Intuition qui affleure aussi chez les joueurs dans la demande rĂ©currente de se faire interdire » dâaccĂšs aux salles de jeux Bucher, 2005, la voix pronominale, avec la voix moyenne rĂ©flĂ©chie, caractĂ©risant la grammaire du masochiste Assoun, 2003. Grammaire renvoyant Ă la spĂ©cificitĂ© du masochiste de se mettre dans une position particuliĂšre⊠se faire objet ». 40Ici Ă©galement pointe la distinction entre la pulsion, avec justement ses diffĂ©rents temps, dont lâaspect rĂ©flĂ©chi, se faire », et la perversion, de mĂȘme, voir, se faire voir » etc. Nous nâentrerons pas dans les dĂ©tails, Lacan exposant ceci dans le SĂ©minaire Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse 1964. Selon lui, câest le positionnement du sujet qui distingue ce temps rĂ©flĂ©chi, dans la pulsion dâune part, dans la perversion dâautre part. 41Enfin, quoique mettant lâaccent sur le masochisme moral intrinsĂšque aux conduites de jeu, Bergler souligne que les chances de succĂšs dâune thĂ©rapie analytique sont grandes si lâimplication du joueur est de mise et prĂ©vaut sur celle de son entourage. Quâest ce qui est de mise dâailleurs dans le jeu ? Nous pourrions ici revenir Ă Blaise Pascal, un des premiers thĂ©oriciens du jeu, sollicitĂ© par le libertin chevalier de MĂ©rĂ©e, Pascal rĂ©pondant par la rĂšgle des partis, prĂ©ambule au fameux pari de Pascal La CĂ©libataire, 2006. 42Dans la thĂ©orisation de Bergler, vient poindre lâexigence dâun dĂ©dommagement pour des blessures prĂ©coces du narcissisme en sâexemptant de la loi de la castration Freud, 1916 ; Assoun, 1999.Otto Fenichel ou le jeu, nĂ©vrose impulsive »43Otto Fenichel, auteur longtemps considĂ©rĂ© comme quasi officiel » dans les instances psychanalytiques, est tombĂ© en dĂ©suĂ©tude, Ă telle enseigne que le deuxiĂšme volume de son ouvrage La thĂ©orie psychanalytique des nĂ©vroses Fenichel, 1945, comprenant ses dĂ©veloppements relatifs aux nĂ©vroses impulsives » nâest mĂȘme plus Ă©ditĂ© par les Puf. 44Dans ce vaste panorama publiĂ© en 1945, ce grand clinicien tente de faire le tour de lâensemble des formes de pathologie mentale, avec explication psychanalytique ad hoc. Il y accorde une place au jeu, citant Bergler parmi les 1 646 rĂ©fĂ©rences bibliographiques de lâouvrage !. Fenichel reprend les propositions freudiennes relatives Ă DostoĂŻevski dans ses dĂ©veloppements sur le jeu dans son essence, une provocation du destin » oĂč se profile la figure-Ă©cran » du pĂšre. 45Il formule de maniĂšre trĂšs fine la dĂ©rive du plaisir Ă la jouissance qui happe le sujet confrontĂ© au jeu, aussi bien tentative magique dâobliger le destin Ă faire son devoir » que combat contre le destin » sous la pression des tensions internes, le caractĂšre badin peut se perdre [10]; le Moi ne peut plus contrĂŽler ce quâil a mis en train, et est submergĂ© par un cercle vicieux dâanxiĂ©tĂ© et de besoin violent de rĂ©assurance, angoissant par son intensitĂ©. Le passe-temps primitif est maintenant une question de vie ou de mort ». 46Le parcours de Fenichel dâAutriche en Californie Vienne en 1897 ; Los Angeles en 1946 fut bref mais intense Bucher et Michel, 2002. Auteur dâune profusion de textes, il est nĂ©anmoins restĂ© dans lâombre notamment en France, soupçonnĂ© dâacadĂ©misme, alors mĂȘme quâil fut un des analystes de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration parmi les plus actifs, liĂ© au mouvement de la gauche freudienne. Selon Russell Jacoby 1983, il fut un trĂšs grand freudien⊠à la fois dissident et anti-autoritaire, hostile Ă tous les dogmatismes et ouvert Ă la question sociale ». 47Quoique anecdotique, le propos du brillant cinĂ©aste hollywoodien Joseph Leo Mankiewicz mĂ©rite dâĂȘtre citĂ© lors dâune interview dans un documentaire, il a affirmĂ© avoir souffert dâune passion du jeu dĂ©vastatrice qui lâamena alors Ă consulter, durant trois ans, un psychanalyste Ă©tabli en Californie qui lâaida beaucoup ». Il sâagissait dâOtto Fenichel ! 48Or Fenichel avait suggĂ©rĂ© Fenichel, 1945 que certains comportements impulsifs rĂ©pĂ©titifs se caractĂ©risaient par une contrainte proche de celle retrouvĂ©e dans la dĂ©pendance Ă lâalcool et aux drogues. Pour Fenichel, les toxicomanies reprĂ©sentent du reste les types les plus nets dâimpulsions », le mot addiction » faisant allusion pour lui Ă lâurgence du besoin et Ă lâinsuffisance finale de toute tentative de le satisfaire ». 49Il range les addictions Ă la drogue dans le cadre des nĂ©vroses impulsives », quâil oppose aux nĂ©vroses de compulsion. Il sâattache Ă diffĂ©rencier impulsions et compulsions, qui ont en commun le sentiment du patient dâĂȘtre obligĂ© dâexĂ©cuter lâaction pathologique. Les impulsions sont â ou promettent dâĂȘtre â plaisantes, elles ne sont pas vĂ©cues, Ă lâinstar des compulsions, sur un mode pĂ©nible, mais comme syntones » du moi et non pas Ă©trangĂšres Ă lui. 50Il opĂšre donc une distinction entre les nĂ©vroses compulsives, oĂč le sujet est obsĂ©dĂ© par lâidĂ©e, comme imposĂ©e de lâextĂ©rieur, de commettre un acte, et contre laquelle il lutte, et les nĂ©vroses impulsives, oĂč lâacte est commis de façon syntone » au moi. Ăgo-syntonie dans la mesure oĂč lâacte est conforme au dĂ©sir conscient immĂ©diat » du sujet, le joueur ne critiquant guĂšre le caractĂšre irrationnel de son acte, a contrario de lâobsĂ©dĂ© qui est Ă©galement friand de rituels, de pensĂ©e magique, de superstition Fenichel, 1945 ; Valleur et Bucher, 2006. 51Nous noterons que le terme mĂȘme de toxicomanie », parfois si dĂ©criĂ© comme entitĂ© nosographique et nosologique, dĂ©rive des cĂ©lĂšbres folies dâimpulsion », catĂ©gorie psychiatrique elle aussi trĂšs sujette classiquement Ă dĂ©bats Chassaing, 1990. 52Pour mettre en tension ces deux auteurs â Bergler et Fenichel â nous remarquerons cette dimension dâĂ©go-syntonie promue par Fenichel, qui semble manifestement un peu approximative Bucher, 1997b pour rendre compte du processus ludopathique. Bergler, quant Ă lui, montre en la matiĂšre davantage de finesse clinique en dĂ©crivant le sentiment dâĂ©trangetĂ© Bergler, 1957 qui saisit le joueur dans sa praxis ludique, ou mĂȘme lorsquâil laisse ses pensĂ©es dĂ©river autour du jeu. Reprenant les termes de plusieurs de ses patients, Bergler parle de feeling of uncanniness, expression malaisĂ©e Ă traduire Ă©trangetĂ©, ce qui sort de lâordinaire, avec la connotation que cette notion peut â prĂ©cisĂ©ment â sâappliquer Ă quelque chose de trĂšs ordinaire, de familier, et gĂ©nĂ©rer un malaise ; elle se rapproche du Unheimlich freudien, de lâinquiĂ©tante Ă©trangetĂ©, Ă telle enseigne que la traduction anglaise de Das Unheimliche par James Strachey [11] nâest autre que The Uncanny. 53Dans cette perspective dĂ©rĂ©alisante, il convient de souligner cet Ă©trange dĂ©sir » expĂ©rimentĂ© par le joueur de Dostoievski lorsquâil ressent lâimminence de la provocation du destin, de donner une chiquenaude » au destin⊠Mais aussi, bien sĂ»r, le fait que le frisson thrill du jeu, cette sensation intense et frĂ©missante Ă©prouvĂ©e dans lâexpectation fiĂ©vreuse de lâarrĂȘt du sort, comporte aussi dans sa dĂ©finition donnĂ©e par Bergler une touche dâinsolite the enigmatic, mysterious thrill in gambling Bergler, 1957. 54Certes, Bergler et Fenichel sâinscrivent dans le cadre dâapproches cliniques Ă visĂ©e pragmatique, non Ă©loignĂ©es dâune vision mĂ©dicale, leur discours produisant parfois une impression de paternalisme, voire de jugement moral, mais leur apport clinique demeure dâactualitĂ© Valleur et Bucher, 2006. Et le style de Bergler, souvent trĂšs affĂ»tĂ©, comporte aussi une note dâhumour, ainsi est Ă©pinglĂ© au passage Bergler, 1949 un joueur par profession, avocat par lubie » ! 55En 1967, RenĂ© Tostain nuance les analyses freudiennes, la problĂ©matique de la castration devenant, dans son exposĂ©, celle du rapport du sujet Ă la Loi, qui nâest pas simplement Ă©crasement par la culpabilitĂ©, et simple besoin de punition Ce quâil veut, câest se soumettre Ă la Loi. Cette Loi qui exige quâil renonce Ă son avoir pour pouvoir donner. Il agit comme sâil savait quâil nây a de don que de ce quâon nâa pas parce quâon a renoncĂ© Ă lâavoir. » Tostain, 1967 ; La CĂ©libataire, 2005 56Il y a donc, dans le cas du joueur, une problĂ©matique particuliĂšre qui serait Ă situer dans une forme de nĂ©gation et de reconnaissance de la nĂ©cessitĂ© de la castration, de lâaccĂšs Ă la Loi. Lâorigine de cette singuliĂšre attitude envers la Loi symbolique, lâordre symbolique, lĂ©gal, celui du signifiant phallique » rĂ©siderait dans quelque dysfonctionnement de la fonction paternelle, et Tostain revient Ă DostoĂŻevski, pour tenter dâĂ©clairer ce qui, au niveau du nom du pĂšre, manque que son fils tente de combler en jouant ». Et la clĂ© en serait non, comme pour Freud, dans le caractĂšre inconscient du vĆu de parricide, mais au contraire dans le fait quâil nâait pas pu le et relĂ©gitimation57Homo masochisticus, le joueur addictĂ© se piquant des vertiges du jeu au comble de lâeffervescence, de lâexaltation, dans lâattente fiĂ©vreuse du rĂ©sultat du pari ? Certes, de paris perdus en paris rejouĂ©s, le joueur pathologique » est aspirĂ© dans la spirale de lâescalade effrĂ©nĂ©e des enjeux, oĂč la bĂ©atitude narcissique initiale du gain cĂšde le pas Ă la dĂ©lectation morose de la perte Bucher, 1993, 1997b. 58Mais alors, quid des faveurs du destin sollicitĂ©es⊠Jouer, câest parier. Oui, mais sur quoi ? Et avec quel engagement ? », sâinterroge Jean-Louis Chassaing [12]. Ainsi, poursuit-il, les joueurs, ces praticiens de lâalĂ©atoire, jouent Ă qui perd gagne, modalitĂ© binaire dâune existence ». Quel intĂ©rĂȘt ? Ainsi que le formule Roger Caillois 1967, lâalĂ©a marque et rĂ©vĂšle les faveurs du destin », le joueur Ă©tant selon lui lâhomme de la providence ». Ce qui pourrait confiner, selon Patrick Berthier [13], Ă une forme de dĂ©lectation suprĂȘme Ătre lâĂ©lu au sein des rĂ©prouvĂ©s, sans raison, sans mĂ©rite, sans rien, par pur dĂ©cret de la providence⊠» 59Bien sĂ»r, ĂȘtre lâĂ©lu du Destin, câest aussi abolir la dette symbolique⊠Ce qui nous ramĂšne Ă la problĂ©matique addictive comme telle. Câest ainsi que, dans cette perspective, Nestor Braunstein Ă©nonce quâen tentant de substituer Ă lâAutre un objet sans dĂ©sirs ni caprices », lâalcoolique, le toxicomane, conteste cette dette symbolique, dette Ă©ternelle et externe quâil nâa pas contractĂ©e et quâil ne veut pas payer. Car, pour lui, elle est impayable » Braunstein, 1992. 60Somme toute, lâaddiction au jeu ou tenter de rĂ©duire la question de la dette âintergĂ©nĂ©rationnelle â Ă une simple affaire dâargent ? Mais par quel biais ? 61Le jeu, faute morale ». Le poids de la faute⊠Comment sâen acquitter ? En payant le prix⊠le prix fort, voire prohibitif. Crouler sous les dettes. Au demeurant, Schuld, en allemand, dĂ©signe Ă la fois la faute et la dette. Payer, Ă©tymologiquement, câest pacifier et sâacquitter de ses dettes, payer tout simplement, câest renouveler sans cesse un processus de pacification, le paiement dâune dette infinie Ă laquelle on ne peut se soustraire » Gori, 1992. 62Si ce nâest que lâinfluence correctrice » du paiement est mise en Ă©chec dans le processus addictif ludopathique » Bucher, 1997c, oĂč prĂ©cisĂ©ment lâorigine de la dette symbolique est interrogĂ©e Ă lâinfini par le truchement dâun instrument, lâargent, qui tend Ă se substituer au langage, avivant la frĂ©nĂ©sie possessoire et oblitĂ©rant la symbolisation de la perte la relance est donc inĂ©vitable Bucher, 1997a. Et la fascination pour le hasard, Ă©rigĂ© en Autre supposĂ© savoir auquel il peut se fier, se confier », est donc fatale car il ne sera jamais le lieu de la parole » Tostain, 1967. 63Et, dans lâabsorption par les signes Ă©nigmatiques » de la chance, advient la jouissance, gĂ©nĂ©rant la pyrolyse » du flambeur englouti dans le maelström de sa passion vertigineuse. La dimension impĂ©rative de la passion prime sur la composante interrogative du jeu dĂ©fiant les lois mĂ©caniques » du hasard et leurs calculs, le joueur somme lâAutre de se manifester et de lui signifier son droit Ă lâexistence, dĂ©voilant ainsi les termes dâune mathĂ©matique terrifiante de la relation Ă lâAutre, sous le joug de la procĂ©dure ordalique. 64ProcĂ©dure dont la loi inflexible rend compte de la sollicitation rĂ©pĂ©titive de la chute toucher le fond afin de se refaire » et ainsi dâĂȘtre relĂ©gitimĂ©. Ceci dans cet espace privilĂ©giĂ© que reprĂ©sente le casino, Ă savoir, selon un patient, ⊠un autre espace oĂč, dâune seconde Ă lâautre, tout peut changer ». 65La logique sous-tendant lâordalie compulsive du joueur conduit Marc Valleur Ă modifier lâĂ©quation freudienne de la compulsion Ă perdre du joueur Sâil ne joue certes pas pour gagner, il ne joue pas non plus pour systĂ©matiquement perdre, mais pour les instants vertigineux oĂč tout â le gain absolu, la perte ultime â devient possible » Valleur, 1991. Lorsque le hasard devient rencontre, tuchÚ⊠66Moyennant quoi, la passion du jeu prĂ©serve gĂ©nĂ©ralement lâordalisant de formes plus violentes dâun jeu rĂ©pĂ©titif avec la mort Perdre sa chemise pour sauver sa peau ». Il nâempĂȘche, la dĂ©pense ne se rĂ©duit pas Ă la finance, ni ne dispense le joueur de la souffrance, le contraignant sans cesse davantage Ă payer de sa personne » et Ă se confronter Ă la rudesse de la loi pĂ©naleâŠUn gain qui nâest pas un gain67Lâargent, le pactole⊠certes, mais contrairement au spĂ©culateur qui peut aussi parfois succomber Ă lâaddiction [14], le joueur nâuse ni nâabuse des mĂ©canismes subtils du capitalisme pour sâenrichir. Il ne va mĂȘme pas placer son gain, ce gain qui lui brĂ»le les doigts, sur le compte dâune quelconque succursale bancaire, mais au contraire sâen dĂ©barrasser au plus vite, en rejouant ou en le dilapidant [15]. Pourquoi une telle hĂąte Ă sâen dĂ©faire ? 68Avec les dettes abyssales contractĂ©es, lâargent perd sa fonction dâĂ©quivalent gĂ©nĂ©ral. Quelque chose de vertigineux dans ce tourbillon⊠Et le vertige, nâest-ce pas Ă la fois Kundera âlâivresse de tomberâ et âlâart de rester deboutâ⊠chez le joueur endettĂ©, en payant, certes, mais dâabord avec lâargent des autres, de tous ces petits autres, Ă©blouis par le grandiose de son combat â quasi olympique â avec le hasard » Bucher, 1997b. 69Selon un jeune turfiste Ă©lĂ©gant et dĂ©sillusionnĂ© sâadonnant aux paris hippiques â une passion, ĂȘtre mordu » â depuis cinq ans, aprĂšs avoir Ă©tĂ© initiĂ© par des amis » Gagner ?⊠Ce nâest pas un gain ! » Bucher, 2004. Se prĂ©sentant comme une sorte de laissĂ©-pour-compte ayant dĂ©veloppĂ© le sens du paradoxe au fil de ses dĂ©boires Le jeu⊠un plaisir qui ne rend pas heureux », il rĂ©cusait au passage expĂ©rimenter quelque sensation que ce soit lors du dĂ©part de la course Non, câest plutĂŽt dans les cent derniers mĂštres que je ressens quelque chose! ». Et il mettait en relief un point crucial, Ă savoir quâil nâavait pas vraiment le sentiment dâĂȘtre propriĂ©taire » de son gain⊠Ce quâexemplifiait un autre patient adepte du Rapido en dĂ©clarant nâavoir, quant Ă lui, aucune utilitĂ© » du gain ! 70DâoĂč la contrainte Ă la remise en jeu⊠jusquâĂ perdre. Mais pourquoi est-elle si pesante ? Bien sĂ»r, sous lâempire de la bĂ©atitude narcissique du gain confinant Ă lâhĂ©bĂ©tude, se fissure lâarmature symbolique du sujet ; ses repĂšres se brouillent Ă la table de jeu avec, Ă la clef, des prises de risque inconsidĂ©rĂ©es⊠71Cependant, plus fondamentalement, le pactole est entachĂ© dâun soupçon dâirrĂ©alitĂ©. Il apparaĂźt que le joueur ne sâĂ©prouve quâusufruitier du gain mirifique Bucher, 2004, et non pleinement propriĂ©taire en mesure de disposer de la chose. Ainsi, tout se passe comme sâil lui manquait, subjectivement parlant, le troisiĂšme attribut du droit de propriĂ©tĂ© sur une chose⊠au nom latin si Ă©vocateur, lâabusus utilisation jusquâĂ Ă©puisement. 72En dâautres termes, pouvoir enfin disposer de ce bien, fruit du hasard⊠jusquâĂ complĂšte consomption comme pour mieux en attester la rĂ©alitĂ© improbable⊠et, partant, relancer de plus belle la spirale addictive ! Un gain qui nâest quâartifice, leurre, au mieux artĂ©fact biaisant la partie⊠73Et la sentence fameuse de Goethe in Faust Ce dont tu as hĂ©ritĂ© de tes pĂšres, acquiers-le pour le possĂ©der » donne la mesure, ou plutĂŽt met en relief la dĂ©mesure des embarras du joueur addictĂ© aux prises avec cette manne cĂ©leste dont lâacquisition lui est trop problĂ©matique, subjectivement parlant, pour ne pas chercher Ă sâen dĂ©barrasser au plus vite ! 74Au demeurant, Ă lâaune de la relation au pĂšre, le processus initiĂ© par la pratique addictive des jeux de hasard et dâargent nâest pas sans Ă©voquer cette phrase de Freud, au dĂ©tour dâune lettre adressĂ©e Ă Romain Rolland Freud, 1936 Tout se passe comme si le principal dans le succĂšs Ă©tait dâaller plus loin que le pĂšre et comme sâil Ă©tait toujours interdit que le pĂšre fĂ»t surpassĂ© ». 75En tant que voie courte » vers la fortune Valleur, 1991 ; 2005, mais nĂ©cessairement infructueuse Ă mesure que la partie se prolonge, les jeux de hasard et dâargent constituent assurĂ©ment un excellent dispositif en la matiĂšre. Ă visĂ©e destinale en quelque sorte ! 76Validation dâune forme dâ appĂ©tence morbide pour le destin » Assoun, 2000 qui ne peut sâaccomplir que dans le succĂšs douteux inhĂ©rent Ă la logique victimaire, Ă savoir obtenir in fine gain⊠de cause !De la maldonne initiale au joker77Par le truchement du dispositif de la cure psychanalytique, le sujet est placĂ© en situation dâinterroger les cartes quâil a reçues du grand Autre. Quant au joueur sâadonnant aux jeux de hasard, son positionnement est Ă©videmment diffĂ©rent. Ainsi, selon Charles Melman [âŠ] on pourrait aussi y voir dans le jeu de hasard la rĂ©assurance prise dans lâexistence de la rĂ©ponse, en tant que telle, le jeu y figurant lâartifice qui permet dâinterroger et de faire rĂ©pondre un systĂšme opaque et sourd, celui du signifiant qui dĂ©coupe et ordonne le rĂ©el dans sa structure de chaĂźne » Bucher, Chassaing, Melman, et al., 2005. 78Dimension artĂ©factuelle qui mĂšne aussi le joueur compulsif Ă sa perte dans la sollicitation rĂ©pĂ©titive dâun tel dispositif, lâindustrie du jeu ne laissant, elle, rien au hasard pour optimiser ses gains lorsque la partie se prolonge⊠79Au-delĂ de la question des joueurs pathologiques, câest bien la question du rapport du sujet Ă lâAutre qui est posĂ©e par le truchement du jeu, lequel organise ce rapport en une fiction oĂč il sâagit toujours de forcer le hasard et dâobtenir ainsi de lâAutre rĂ©ponse et reconnaissance » [16]. Chance infime de dĂ©crocher la timbale, certes, mais, prĂ©cisĂ©ment, si je gagne, câest que je ne suis pas un quelconque au regard de lâAutre, câest que jây ai une place dâĂ©lection, quâil mâenvoie soudain un joker qui modifie radicalement la donne initiale ». LĂ encore, se retrouve en creux la logique victimaire de ces sujets en souffrance, fondĂ©e sur un syndrome dâexceptionnalitĂ© que pointait Freud dans son texte de 1916 sur Quelques types de caractĂšres dĂ©gagĂ©s par le travail psychanalytique Freud, 1916. Logique dont lâargumentation autour du Jâai suffisamment payĂ© Ă lâAutre, Ă lui maintenant de me dĂ©dommager⊠» serait susceptible de justifier une exemption de la loi de la castration. Sur un mode dĂ©rogatoire. Et, partant, se profilerait mĂȘme une forme dâinversion de la dette⊠80Dans ses dĂ©veloppements sur La cure psychanalytique est-elle un jeu ?, Charles Melman [17] sâinterroge sur le caractĂšre Ă©trange de lâactivitĂ© de jeu⊠non pas ludique insiste-t-il â rien de plus sĂ©rieux que le dĂ©roulement dâune partie â qui se dĂ©roule dans le champ de la rĂ©alitĂ© et cependant nâen fait pas partie⊠entre engagement subjectif et passion dĂ©vorante. Et il met en exergue un Ă©lĂ©ment essentiel de lâattitude du joueur RĂ©cuser la donne que chacun de nous tient du grand Autre, rĂŽle sur la scĂšne du monde, identitĂ© sexuelle⊠» Au demeurant, poursuit Melman, si lâon sâen tient au social, il est connu que ceux qui jouent le plus sont des chĂŽmeurs⊠qui nâont â prĂ©cisĂ©ment â rien Ă perdre ! 81De quoi faire ici encore le rapprochement avec les accidentĂ©s de la vie », oĂč lâaccession au statut de victime, du dommage subi Ă la demande de reconnaissance du prĂ©judice Assoun, 1999, sâeffectue par le passage du signe moins » au signe plus »⊠Comme pour mieux souligner le principe du jeu, lâenjeu implicite Ă toute compĂ©tition, Ă savoir quâil y a des vainqueurs et des perdants, un qui lâa, lâautre pas⊠82Ainsi, en attendant Le » mĂ©dicament savamment neurobiologique qui traitera les joueurs, nous avons rĂ©pertoriĂ©, Ă notre maniĂšre, les textes et auteurs qui ont osĂ© dans ce domaine complexe une approche psychopathologique. Et les avancĂ©es des Ă©tudes principalement psychanalytiques nous amĂšnent de la psychopathologie Ă la logique du jeu, dans laquelle les sujets se laissent prendre Ă devenir la logique du joueur. Y a-t-il encore en effet, Ă ce moment, un sujet ? Quel est le sujet de lâaddiction » si ce nâest le mĂȘme que celui de la psychanalyse ! Au mirage prĂšs dâun Ă©chappement, fĂ»t-il transitoire, aux effets du langage ! Ă dĂ©montrer. Notes [1] Article reproduit dans Bucher C, Chassaing J-L, Melman C, et al. Jeu, dette et rĂ©pĂ©tition les rapports de la cure psychanalytique avec le jeu â Paris, Ăditions de lâAssociation lacanienne internationale 2005. [2] CitĂ© in Chassaing J-L, et al. Ăcrits psychanalytiques classiques sur les toxicomanies â Paris, Ăditions de lâAssociation lacanienne internationale 1998. [3] Marvaud Angel Les aliments dâĂ©pargne, alcool et boissons aromatiques cafĂ©, thĂ©, matĂ©, cacao, coca effets physiologiques, applications Ă lâhygiĂšne et Ă la thĂ©rapeutique. Ătude prĂ©cĂ©dĂ©e de considĂ©rations sur lâalimentation et le rĂ©gime â Paris, Ăditions BaillĂšre 1874. [4] Voir aussi lâarticle de Bernard Stiegler en page 27 de ce numĂ©ro. [5] Ă noter que Vatertötung renvoie plus prĂ©cisĂ©ment Ă la mise Ă mort du pĂšre et non au parricide Vatermord. [6] DostoĂŻevski Ă la roulette. Textes et documents recueillis par RF Miller & Fr Eckstein, traduit de lâallemand par H Legros, Paris, Gallimard 1926. [7] Soit en allemand âDie Zeit, da DostoĂŻevski in Deutschland von der Spielsucht besessen war [âŠ] Ein unverkennbar Anfall von pathologischer Leidenschaft, der auch von keiner Seite anders gewertet werden konnte. [8] RĂ©fĂ©rence, Ă cet Ă©gard, au penchant moralisateur » de DostoĂŻevski, adepte du panslavisme Ă lâoccasion de la guerre russo-turque, aprĂšs avoir commis un jugement Ă lâemporte-piĂšce, et aussi, relativement Ă la guerre entre la France et la Prusse, lorsquâil suggĂšre en 1870 que la France abĂątardie et trop rassise » renaĂźtra Ă un idĂ©al nouveau aprĂšs ce mal passager ». [9] Masochisme psychique » expression critiquĂ©e par Lacan dans la leçon du 10 mai 1967 du SĂ©minaire sur la Logique du fantasme ». Cela dit, Lacan avait de la considĂ©ration pour Bergler quelquâun qui ne manque ni de talent, ni de pĂ©nĂ©tration », auteur dâun ouvrage de grand mĂ©rite La nĂ©vrose de base ». [10] SoulignĂ© par les auteurs. [11] James Strachey 1887-1967, psychanalyste anglais, rĂ©alisateur de la monumentale traduction de lâĆuvre de Freud ; traduction de rĂ©fĂ©rence en Angleterre, Ă©ditĂ©e dans les annĂ©es 1950 Standard Edition. [12] Dans la note liminaire, in Bucher, Chassaing, Melman, et al. Jeu, dette et rĂ©pĂ©tition les rapports de la cure psychanalytique avec le jeu â Paris, Ăditions de lâAssociation lacanienne internationale 2005. [13] Dans lâouvrage citĂ© ci-dessus. [14] Câest ainsi quâest parfois prĂ©sentĂ©e la dĂ©rive de Nick Leeson, un trader britannique, entraĂźnant dans sa chute celle de la prestigieuse banque Barings, aspirĂ©e par les pertes du compte 88888 »⊠Et on sait que le chiffre 8â est un chiffre porte-bonheur en Asie ! Pour en savoir plus, voir la page Le fabuleux destin de Nick Leeson Ă [15] Ă lâexception notable de Françoise Sagan, plus chanceuse au demeurant avec le 8â que Leeson gagnante Ă la roulette de 80 000 francs avec le chiffre 8 en 1958 en une nuit Ă Deauville et achetant dans la foulĂ©e à ⊠8 h du matin sa cĂ©lĂšbre propriĂ©tĂ© prĂšs de Honfleur⊠[16] Norbert Bon Les jeux sont mal faits, in Bucher, Chassaing, Melman, et al., 2005. [17] Charles Melman La cure psychanalytique est-elle un jeu ?, in Bucher, Chassaing, Melman, et al., 2005.Dansle dossier de surendettement, on doit Ă©galement pouvoir retrouver : Lâensemble des dettes ; Les Ă©lĂ©ments du patrimoine ; Le montant des ressources du demandeur. Toute information transmise Ă la commission de surendettement, concernant le demandeur, restera par ailleurs confidentielle. Il est aussi bon de noter quâil a le droit de
Aborder lâaddiction au jeu sous lâangle de la question du jeu, tel est lâobjectif de ce dossier qui rassemble des contributions issues de diffĂ©rentes disciplines sociologie, psychologie, sciences de lâinformation et de la communication, littĂ©rature comparĂ©e, tournĂ©es vers diffĂ©rentes pratiques jeux dâargent, jeux vidĂ©o, elles-mĂȘmes situĂ©es dans diffĂ©rents pays de la France Ă la Chine en passant par la Finlande et dâautres pays europĂ©ens, mais dont le point commun est cette attention particuliĂšre portĂ©e Ă la dimension addictive des pratiques ludiques. Sans jamais essentialiser ce lien que le jeu entretiendrait avec lâaddiction â une notion issue du langage mĂ©dical quâil faudra dâailleurs commencer par discuter â, il sâagit au contraire de remettre en question la nature de ce lien, en analysant tour Ă tour la façon dont il est conçu selon le contexte scientifique, politique et moral dans lequel la pratique sâinscrit, les enjeux socioĂ©conomiques qui prĂ©sident Ă lâencadrement de cette pratique, la structuration des espaces sociaux dans lesquels elle prend place et les reprĂ©sentations de lâaddiction au jeu telles quâelles sont produites aussi bien par la littĂ©rature romanesque que par la presse quotidienne. Addressing gambling and gaming addiction from the playing perspective is the objective of this special issue. This question will be approached through the lens of various disciplines sociology, psychology, information and communication sciences, comparative literature, practices gambling, video games, and countries from France to China or Finland and other European countries. The common ground of all the papers included here is a particular attention to the addictive feature of gambling or gaming as playing practices. Without essentializing the relationship that takes place between playing and being addicted to it â a notion resulting from the medical language that will be discussed as a preamble â we are intended to, in contrast, question the nature of this link according to the scientific, political and moral context in which gaming/gambling practices take place, the socio-economic stakes that govern its landscape, the structuring of the social spaces in which it takes place, and the representations of gambling addiction produced by fiction literature and the daily press. Dossier thĂ©matique Sous la direction de Aymeric Brody et JoĂ«l Billieux Aymeric Brody et JoĂ«l Billieux Thomas Amadieu The Formation of Representations relating to Gambling Addiction a Comparison between China and France SĂ©bastien Berret et Virve Marionneau Les effets des inĂ©galitĂ©s sociales et des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques sur le jeu problĂ©matique en France. Is gambling a regressive tax? The effects of social inequalities and economic interests on problem gambling in France. Johanna JĂ€rvinen-Tassopoulos Gambling spaces a sociological analysis of the production of space, of risk and of the prevention of problem gambling Hannah Freundlich Women pathological gamblers in literature a reading through the prism of clinical psychology Audrey Arnoult The representations of the practices of videogame playing in Le Monde between leisure and public health problem Varia ClĂ©ment Dussarps The video game as mediator of knowledge in history the example of Crusader Kings 2 and Europa Universalis 4 Vincent Berry et Nathalie Roucous Designing and publishing board games a study of the niche sector and professional trajectories Avh56B.